Vendredi soir calme en perspective. La semaine a été longue, lente. Pas de rebondissements particuliers. Des projets qui tournent en rond. Une ambiance morose au bureau. Le va-et-vient de nouveaux employés, les départs imprévus n’arrangeant pas la situation. Et ce temps humide et froid qui pénètre les os. C’est la période de l’année où les gens préfèrent rentrer au chaud plutôt que de se cailler les miches sous une terrasse trop chauffée à refaire et défaire le monde.
Alice n’aime pas ça. La fin d’année va être rude. Afin de changer la trajectoire déprimante de ce début de week-end, Alice décide de ne pas prendre le bus pour rentrer. Tant pis pour le froid. Mode warrior activé.
« Terminus du train, tous les voyageurs sont invités à descendre… » Anglais, Espagnol… On les connaît par cœur.
Alice passe le couloir aux pigeons. Cette ligne droite qui mène à l’extérieur du métro s’avère être le parcours du combattant. Slalomer entre les fientes, garder le regard vif à l’affût du moindre battement d’ailes suspect, esquiver les crottes verdâtres pouvant être lâchées au moindre instant et prier fort pour qu’il n’y ait rien qui atterrisse sur ses cheveux ou son manteau. Ça pue.
À deux millimètres près, le gars devant elle s’en prenait une belle sur le veston.
Les réverbères répandent leur lumière orangée sur les bâtiments où déjà les silhouettes s’animent en silence. Alice prend sur la droite après la petite descente et se retrouve sur le sentier entre les maisons défraîchies et la voie ferrée.
C’est calme et paisible sauf quand un train passe. Alice pense, elle organise son week-end. Entre le sport, ses projets, les courses, elle laisse son esprit divaguer.
Encore quelques minutes de marche avant d’arriver à la maison. Elle avait besoin de cette pause. Sentir la transition, désamorcer le bad qui grandissait en elle.
Le fondu entre la nuit et le jour se prononce chaque seconde un peu plus. Au loin, un reflet de lumière rouge l’interpelle. Arrivée à hauteur de celle-ci elle s’aperçoit que la source provient d’une petite lampe posée sur le rebord d’un oculus plus grand que la normale. Surmontée d’un abat-jour de forme ronde, elle semble sortir d’un autre temps. Les rideaux laissent entrevoir des murs d’un bleu sombre et une pièce plutôt vide.
Soudain, une silhouette apparaît en face de l’ouverture.
Un dos qui n’en finit plus. La grande odalisque réincarnée.
De la nuque à la chute des reins, une peau satinée d’un blanc laiteux. Le rebondi des fessiers laisse imaginer une cambrure obscène. Et pour couronner le tout, de jolies fossettes viennent ajouter du charme à ce tableau de nu qui s’anime sous les yeux voyeurs d’Alice qui s’approche un peu plus de la barrière extérieure de la maison.
C’est la première fois qu’une situation pareille s’offre à elle.
Mais que faire ? Rester et regarder au risque de paraitre pour quelqu’un de dérangé ? Ou simplement continuer sa route ?
Perdue dans sa réflexion, c’est soudainement que le corps qui jusqu’à maintenant ne lui était apparu que de dos se retourna.
Impossible de mettre un visage complet à cette statue humaine tant la gêne fut à son comble. Alice eut juste le temps d’imprimer dans sa mémoire une poitrine à demi complète, lacérée d’une cicatrice en dessous du cœur. Trace d’un morceau de féminité à jamais perdue. Leurs regards se croisèrent en un éclair avant qu’Alice ne prenne la fuite et pleinement conscience de son acte de voyeurisme.
Elle fut chez elle en moins de deux. Se demandant pendant le reste du parcours quelle force étrange a bien pu la pousser à désirer en voir plus !
Depuis, Alice ne regarde plus les fenêtres de la même façon, car derrière chaque vitre se dévoile une histoire, un morceau de vie silencieux devenant réel dans notre imaginaire ou au moment où l’on se fait prendre la main dans le sac.