Alice – La Rose

A

Elle avait fantasmé de ce moment tellement de fois que cela lui semblait irréel.

Quand l’autre jour il lui avait dit de prendre son temps, elle n’avait pas voulu comprendre ni même écouter. Avec Alice c’est tout et tout de suite. Elle ne pouvait concevoir que deux entités tant attirées l’une par l’autre soient obligées de prendre leur temps. Alice était encore égoïste. Elle ne savait pas pleinement s’écouter. Ses pulsions, son corps. Prendre conscience de son plaisir, en recevoir, mais surtout en donner.

Il lui avait dit lors de leur première fois :

— Un jour, je te ferai l’amour sans même te toucher. Je te ferai connaître la vraie folie. Et là, tout changera.

Elle demandait à voir. Les petits jouets et autres artifices coquins n’avaient plus de secrets pour elle. Il l’avait intrigué comme à son habitude en lui disant ceci. Cet homme la repoussait dans ses retranchements, faisant remonter à la surface une partie d’elle que longtemps elle s’évertua à dissimuler.

Cela faisait déjà quelques mois qu’ils jouaient au jeu du chat et de la souris. Elle et son travail qui ne l’a passionnant plus, lui et ses longues soirées au studio. Leurs vies n’étaient pas rythmées de la même façon, mais quand ils étaient ensemble tout semblait s’arrêter. Le temps se figeait. Ils créaient des ellipses dans les minutes sans vraiment comprendre l’enchainement de leurs actes. Ils se découvraient au compte-goutte. Au plus grand bonheur de leur corps. Le tout en décelant chaque fois un trait de personnalité différent. Ce qui rendait d’autant plus excitante chacune de leur rencontre.

Elle avait réussi depuis à se souvenir de son numéro de portable. Perdu dans les limbes de sa mémoire défaillante des chiffres et ceci après être tombée sur une « Tata Simone » à moitié sourde et un vendeur de montres à la voix de crécelle. Pour leur première « vraie » rencontre, elle lui avait donné rendez-vous au Tam-Tam. Au moins, elle était sûre que si ça tournait au vinaigre, Jackie pourrait la sortir de là.

Il l’attendait à une table.

Mince, je lui avais pourtant dit 11 h. Qu’est-ce qu’il fait là ? 

Elle qui pensait se faire attendre !

Il se leva. Sur son visage s’afficha le même petit sourire en coin qu’il lui avait servi la nuit de leur rencontre furtive. Ce sourire satisfait qui éclairait son visage. Il était grand. L’air mutin, le nez fin. Il portait une barbe de quelques jours. Quelques taches de rousseurs ponctuaient sa peau métissée. Il avait des lèvres joliment dessinées. Ni trop fines, ni trop épaisses. Ses yeux vairons étaient légèrement bridés. Et que dire de cette touffe de cheveux ébouriffée et bouclée ?

Sur quel spécimen es-tu tombé ma vieille ?

Ils se saluèrent brièvement et commandèrent tous deux un café allongé. Lui avec une pointe de lait. Elle avec une part de tarte à la fraise. Impossible d’engager la conversation pour Alice. Elle avait pourtant l’habitude des rencontres de ce genre. Mais cette fois, quelque chose la mettait mal à l’aise. Elle ne saurait dire si c’était son regard qui semblait la sonder, provoquant en elle une vraie impression d’existence. Le son de sa voix posée, grave comme elle les aimait ou son flegme naturel que rien ne semblait distraire.

Ce mec était une énigme. Il n’y avait aucun sous-entendu dans ses mots. Il la regardait droit dans les yeux. Le pauvre était obligé de meubler la conversation comme il pouvait. Il lui posa des questions sur elle, sa vie, ce qu’elle aimait. Si elle avait des tracas. C’était simple sans être banal. Il l’écoutait attentivement, Alice se dévoilait petit à petit pour finalement se sentir totalement à l’aise et en confiance.

Un orage vint interrompre leur discussion. Il se mit à pleuvoir des cordes.

Déjà 16 h, le temps avait filé. Ils n’en revenaient pas. Ils avaient refait le monde.

Lewis devait y aller, des prises de son à et un mix à boucler.

Un rendez-vous pris pour le surlendemain. Un baiser léger sur la joue et le voici en train de courir sous la pluie brouillant un peu plus sa silhouette.

Alice est sous le charme.

— Plutôt bel homme dis donc et différent de tous ceux que tu m’as déjà ramenés ici ! La voix rauque de Jackie l’ôta de ses songes.

— Jackie, je ne sais pas, il a quelque chose d’étrange. Justement, j’ai l’impression de me tromper sur lui et en même temps je me dis que si je m’arrête maintenant je risque de passer à côté d’un truc énorme !

— Je ne suis pas sûr de voir le même « truc énorme » que toi actuellement, mais la vision me plait bien ! Tu n’as rien à perdre chouchou. Suis juste ton instinct.

— Merci Jackie.

La pluie s’est calmée, juste assez pour ne pas arriver trop trempée à la bouche de métro la plus proche. Une bise à Jackie et Alice s’éclipsa. Les pensées remplies de la voix de Lewis, c’est le cœur au bord des lèvres qu’elle prît la direction de chez Beeya.

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