Alice – L’inconnu

A

Alice sort de chez elle tous les matins vers 7 h 30. Le tour de clef vif donné au premier verrou de la porte déclenche le départ d’une journée remplie de possibles.
Le parcours commence. Dix minutes de marche avant de s’engouffrer dans les entrailles profondes du métro. Ne jamais s’assoir, toujours avoir de la hauteur par rapport aux autres. Elle observe finement les moindres détails. Visages, postures, mimiques, respiration, battement de cils.
L’humain l’inspire.
Cette proximité involontaire de l’inconnu l’émoustille.
À quoi pensent-ils tous ? Où vont-ils ?
Dixième arrêt, une correspondance à ne plus finir, la voici sur une autre ligne.
Plus odorante, bondée à craquer, plus de corps à frôler, de visages à scruter.

Adossée aux portes du fond, face à l’entrée pour absorber le flux du monde qui va et vient, voici qu’elle choisit sa cible.
Il porte une sacoche marron patinée en bandoulière.
Sa chevelure noire de jais ébouriffée semble mener sa propre vie et contraste fortement avec sa stature consistante.
De dos et juste devant elle, les effluves de son parfum boisé lui chatouillent les narines.
Elle entreprend une analyse scrupuleuse de son corps vu de derrière.
La nuque épaisse, les épaules larges, sa veste en cuir bleu marine sculpte chacun des muscles de ses membres supérieurs.
En un flash, elle se voit chevaucher ce dos qu’elle imagine ferme et couvert de grain de beauté.
Ses mains sont fines tout en étant très masculines. D’un geste calculé en accord avec le mouvement de la rame, elle lui touche sensuellement la paume de la main. Le contact anonyme est tellement fréquent dans ces configurations qu’il ne se retourne pas. Il a juste le réflexe de la refermer légèrement comme voulant capturer le toucher d’Alice. Elle a failli se faire prendre.
Une station. Deux stations la rame se remplit d’avantage. Il recule un peu plus. Elle peut maintenant sentir l’énergie qui se dégage de son corps, voir le mouvement de sa respiration. Elle lui souffle dans le cou comme pour lui susurrer cette envie subite qui l’a chatouille dans son bas ventre.
Elle le sent se crisper devant elle, de droite à gauche il piétine, impatient.
À peine le temps de se concentrer sur la chute de ses reins, voici que les portes s’ouvrent.
Trente secondes si ce n’est moins afin de s’imprégner de la silhouette de cet inconnu sur lequel elle salive déjà. Le signal sonore retentit. Retour à la réalité. Il est sur le quai, se retourne de trois quarts, leurs regards se croisent. Alice fixe maintenant les yeux vairons de cet homme plus singulier qu’elle ne le fantasmait jusqu’à maintenant. Le métro s’éloigne. Il ne bouge pas. Sa vue se brouille, la vitesse du wagon s’accélère. Elle descend à la prochaine.
Le mystère est à son comble. Ça l’excite. L’automate annonce la station. Alice descend.
8 h 30 et déjà mouillée comme jamais.

Add comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

AmL

About Me

"Assembleuse de mots " à mes heures perdues.
Ils prennent vie à travers le regard que je porte à notre existence.
Juste envie de partager avec vous ma passion des lettres.
Amélie.